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La santé n'est pas un droit

26 avril 2007

La santé n'est pas un droit



Le livre

Le « droit à la santé » est une revendication illusoire. Abandonner ce slogan est une manière de mieux affirmer nos « devoirs » et notre responsabilité individuelle et collective en matière sanitaire. Devoirs du corps médical, des malades, des organismes de tutelle, et des politiques. « La médecine que j’exerce au quotidien en ce début de XXIe siècle ne correspond plus à celle pratiquée dans les années cinquante. Le progrès scientifique l’a rendue fiable. À l’inverse, l’organisation des soins reste aussi traditionnelle, voire archaïque. »

Partant de ce constat, Guy Vallancien pointe avec précision, par de nombreux exemples, l’incroyable désorganisation de notre système de santé. Sans dissimuler les responsabilités de tous les acteurs de ce système, il montre que des solutions sont là, simples et urgentes. La santé n’est pas un droit est un livre engagé qui propose de vraies pistes de réformes avec pragmatisme et humanisme. « La Sécurité sociale mérite mieux que de colmater ses brèches au jour le jour, nous dit Guy Vallancien. Innovons en citoyens responsables et solidaires. »


L'auteur

Guy Vallancien est Professeur d’urologie à l’université René Descartes Paris 5, Président de l’Ecole Européenne de Chirurgie et Président du Cercle Santé Société. Il a été chargé de mission auprès du ministre de la Santé pour le Plan Hôpital 2007. Guy Vallancien est notamment le co-auteur de La révolution médicale, (Seuil 2003).

Pour commander le livre cliquer ICI

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25 avril 2007

Santé, le "parler vrai" s'impose

Quelle pauvreté d'idées ! Quelles craintes de dire le vrai ! Quelles banalités délivrées sans risques ! Les candidats ont-ils peur d'afficher publiquement l'urgence de la rénovation d'un système de protection sociale et sanitaire qui hoquette dans ses derniers soupirs !

Après soixante ans de Sécurité sociale, cinquante ans de réforme hospitalière et de multiples conventions avec les médecins libéraux, on improvise toujours une pseudo-organisation sanitaire au gré de plans de rétablissements des comptes de la Sécurité sociale concoctés à

la va-vite. Les

données chiffrées sont toujours désastreuses à l'arrivée d'un ministre ; mais, grâce aux bonnes fées, bien meilleures à son départ. On cajole les syndicats, on rajoute à la dernière minute quelques sous aux professionnels qui râlent. Où est la politique dans ce mouvement brownien sanitaire ?

Les projets annoncés dans ces colonnes à l'occasion de l'élection présidentielle sont inaudibles et sans saveur. On saupoudre pour faire plaisir aux lobbys. Ah ! Surtout ne pas oublier les obèses, parler du sida, pleurer sur l'euthanasie, toucher le paralytique, nouveau cérémonial des écrouelles en numérique, rassurer sur la fermeture de certains services de chirurgie et de maternité en faisant croire que l'on y échappera. Or, plus on traîne, moins les réformes structurelles dont le pays a besoin auront une chance de voir le jour. A quelles questions les finalistes devront-ils répondre d'ici au deuxième tour ?

D'abord, à celle qui déterminera les chances de réussite des différentes mesures retenues qu'elles soient populaires ou non ? Ensuite : êtes-vous prêts à revoir la notion de plus en plus creuse de "médecine libérale" pour lui substituer celle "de médecine libre", qui passe par un véritable exercice médical et paramédical avec sa tête et ses mains (écouter, examiner) au lieu de privilégier le financement de techniques dont beaucoup ont une utilité discutable et ne nécessitent plus un diplôme de doctorat d'Etat en médecine pour les accomplir.

DÉSERTIFICATION SANITAIRE

Oserez-vous demander aux professionnels de pratiquer là où les besoins existent et non pas là où ils le veulent ? Arrêterez-vous de répondre aux élus qui se plaignent d'une désertification sanitaire, discutable aussi, par une augmentation inutile du nombre d'étudiants en médecine ? Sélectionnerez-vous dès l'entrée en première année les mêmes étudiants sur des bases correspondant aux qualités requises pour le métier ? Raccourcirez-vous la durée des études médicales en les adaptant au métier ? Regrouperez-vous ou spécialiserez-vous les centres hospitalo-universitaires, trop nombreux et dispersés pour assurer une recherche compétitive ? Décréterez-vous la fin du professorat à vie, et reconnaîtrez-vous l'impossibilité d'exercer les trois missions de

la réforme Debré

de 1958 de soins, d'enseignement et de recherche dans le même temps par un même médecin ? Saurez-vous arrêter, sans états d'âme, l'afflux de médecins à diplômes étrangers non contrôlés pour remplir des postes dans des hôpitaux sans malades ?

En revanche, aurez-vous les moyens d'attirer les meilleurs chercheurs, médecins et chirurgiens étrangers dans nos établissements ? Proposerez-vous des modes de rémunération autres, évitant les effets pervers des honoraires et du salariat, reconnaissance financière de haut niveau sous la forme d'un contrat d'exercice global renouvelable et évalué régulièrement ? Donnerez-vous de nouvelles missions et les moyens aux hôpitaux et aux cliniques selon leur niveau d'établissement de proximité, de recours ou de formation ?

Et renforcerez-vous la convergence entre le secteur hospitalier et le secteur libéral, une délétère dualité tant médicale qu'économique ? Saurez-vous imposer la transparence de l'information sur la qualité des soins et leur prix aux malades et opérés ? Saurez-vous interdire les arrêts de travail abusifs et autres triches au quotidien ? Financerez-vous à hauteur de leurs enjeux l'éducation sanitaire et la prévention ? Aurez-vous le courage de favoriser la refonte de notre industrie médicale sans laquelle les médecins, comme les chirurgiens, ne peuvent agir ? Changerez-vous la représentativité des partenaires qui gèrent les 160 milliards d'euros de l'assurance-maladie selon des modes de pensée dépassés ?

Finalement, saurez-vous faire vivre au quotidien, de la capitale au hameau le plus reculé, ce bien le plus précieux que nous avons perdu, la solidarité, et qui, au fil du temps, s'est muée en assistance inefficace et coûteuse ? Une dernière supplique : ne promettez plus de combler le trou de la Sécurité sociale. De grâce, changez plutôt vos schémas d'analyse obsolètes. Comprenez que l'économie de la santé et l'industrie des soins sont parmi les chances de la France dans l'Europe.

Le Monde, 26 avril 2007

3 avril 2007

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3 avril 2007

Extraits du livre

Prologue

La médecine que j’exerce au quotidien en ce début du xxie siècle ne correspond plus, et de loin, à celle que pratiquaient mes maîtres dans les années cinquante. Le progrès scientifique l’a rendue fiable. L’incertitude et les probabilités invoquées par le célèbre médecin canadien Sir William Osler (1849-1919) reculent au profit de l’affirmation technique et de la preuve statistique. À l’inverse, l’organisation générale de la distribution des soins n’a, elle, guère évolué depuis le Moyen-Âge. Elle s’avère toujours aussi traditionnelle, voire archaïque, reposant sur le bon vouloir, le professionnalisme et l’expérience d’individualités. La salle des malades de l’hospice de Beaune ouverte au xve siècle ressemble en tous points à la chambre d’un hôpital contemporain. Lits, tables de chevet, brocs, cuvettes et linge propre en forment toujours les éléments de base. Mais les instruments de chirurgie ont considérablement évolué : nous sommes passés des pinces rustiques aux ciseaux télé-manipulés. L’informatique et la vidéo-vision ont envahi les blocs opératoires. Cette distorsion entre le progrès rapide de l’art médical, peu à peu transformé en technique, et le maintien d’une distribution désuète des soins explique, pour une grande part, l’ardoise financière qui affole payeurs et politiques. Elle est aussi l’une des causes majeures du malaise que ressentent les professionnels de santé dans notre pays, pourtant classé premier pour son organisation sanitaire par l’OMS.

Parce que l’offre de soins s’est socialisée au point de devenir impersonnelle, les usagers du système ont perdu le sens de leurs responsabilités. Des patients aux médecins, en passant par les administrations et les organismes de l’assurance-maladie, chacun a joué son rôle égoïstement. Nous avons tous espéré tenir bon aussi longtemps que possible dans un système encore solvable, au prix d’une augmentation continue des prélèvements sociaux.

On nous rabâche des slogans éculés, tels que le sacro-saint « droit à la santé ». N’oublions pas « La médecine libérale ou la mort », « Touche pas à ma sécu » ou encore « Venez aux urgences, l’hôpital vous attend » qui dénaturent toute analyse sensée de la situation. Chaque catégorie professionnelle tend sa sébile, espérant un petit geste du bailleur de fonds, persuadée d’être la victime expiatoire du système.

« Droit à la santé » ? Mais pourquoi ne pose-t-on pas, d’abord, la question de nos responsabilités individuelles et collectives ? Des responsabilités qui, elles, sont préalables à tout droit ? Il est plus facile de promouvoir à tout va des droits que de rappeler les vertus citoyennes qui les font naître. J’ai peut-être le droit de « jouir sans entrave » comme le proclamait un tag de mai 1968 ; mais, en contre partie de ce bien-être nirvanique, n’avons-nous pas quelques devoirs préalables ? Là, personne ne répond. On se tait par crainte d’aborder la véritable question : celle des impérities successives ayant entraîné la dégradation de notre système de soins. Conçu dans le contexte socio-économique d’après 1945, au sortir de la guerre, ce système ne correspond plus à la situation et aux évolutions indispensables pour la France du XXIème siècle.

Que le lecteur me comprenne. Ces pages n’ont d’autre but que de susciter un débat, en m’appuyant sur des situations vécues. Ce procédé, il est vrai, est peu habituel au pays de Descartes où l’esprit de raison nous invite à procéder du général au particulier sans tenir compte de l’expérimentation. Quand j’opère, j’établis un plan d’attaque ; mais je suis parfois confronté à une réalité différente de celle que j’avais prévue. Du coup, je procède autrement. À sa manière, ce livre n’a pas d’autres ambitions : être pragmatique. Comme un chirurgien.

Quel gâchis !

Nous vivons sur un système de protection sociale bâti, à l’origine, pour les seuls travailleurs salariés. Mais la société a considérablement évolué tant par la diversification des emplois, la répartition des catégories socioprofessionnelles, les progrès de l’informatisation et la mondialisation de l’économie et les progrès thérapeutiques avec leurs conséquences sur le chômage comme sur l’allongement de la durée de vie.

Dans l’ensemble, les Français ne perçoivent pas l’impact croissant de la globalisation du marché de la santé. Outre la puissance américaine dans ce domaine, avons-nous conscience de la montée en puissance de certains établissements de soins étrangers tout comme l’accélération des délocalisations possibles et rapides de médecins et d’auxiliaires ? À Kuala Lumpur comme à New Delhi, ou Tunis, de remarquables chirurgiens vous opèrent dans des hôpitaux superbes. Les Français rayent ce « tourisme médical » qui, un jour, nous réservera des surprises. Qui empêchera un établissement de soins public ou privé de délocaliser demain la prise de rendez-vous à Marrakech ou à Alger ? Qu’est-ce qui empêchera que des images scanner ne soient lues par des médecins étrangers à diplômes français ou européens exerçant dans leur pays d’origine ?

Fiers de la soi-disant égalité d’accès aux soins grâce à notre Sécurité sociale, nous ne voyons pas que la médecine est en France à dix vitesses. Nous sommes aveuglés par le dogme républicain intouchable. Or, selon la porte du cabinet médical, du dispensaire, de la clinique ou de l’hôpital à laquelle vous frappez, vous serez plus ou moins bien pris en charge. Votre niveau d’information, vos relations, vos moyens financiers déterminent totalement le chemin que vous aurez à parcourir comme malade. Mais il ne faut pas l’ébruiter, au risque, sinon, de remettre en cause notre foi indéfectible en la sainte salvatrice et protectrice, « mater securitas ».

En vingt-cinq ans, une vingtaine de plans de redressement ont été mis en place. Globalement, ils ont tous été incapables de produire autre chose que du déficit. Car ils sont sans réelle envergure. Aucun d’eux n’a, en effet, remis en cause les moyens de production sanitaires, ni leur répartition sur le territoire. Nous avons vécu dans le « touche pas à mon hôpital ou à ma clinique », qui privilégie l’aménagement du territoire plutôt que la qualité des soins. Curieux choix, dicté par des impératifs plus politiques que sanitaires et qui préserve coûte que coûte l’emploi local au prix de risques médicaux accrus du fait de la sous-activité de certains établissements. Par ailleurs la corporation médicale libérale négocie avec l’Assurance Maladie des conventions dites « poly catégorielles » qui ne satisfont personne.

Peut-on comparer un généraliste à un chirurgien ? Tout les sépare, hormis la fatigue du métier. Les risques, la technicité, le coût de la pratique (et en premier lieu celui des assurances en responsabilité civile), le mode d’exercice dit libéral, sous contrat avec un propriétaire d’établissement pour le chirurgien et autonome pour le généraliste : sans vouloir établir une hiérarchie, chacun comprendra bien que nous ne faisons pas la même chose, médecins généralistes, spécialistes, psychiatres ou chirurgiens tout en étant aussi utiles aux malades. Alors pourquoi négocier avec la tutelle en montant sur le même cheval du manège ?

Pour m’en tenir à mon domaine, voilà ce qu’il en est : la chirurgie publique disparaît lentement tant sa faible productivité opératoire n’incite pas les chirurgiens les plus actifs à se donner à fond. Blocs opératoires fermés à 16 heures, temps de nettoyage interminable entre chaque malade, limitation du nombre d’actes pour ne pas générer de déficit, tout plaide pour inciter à fuir le secteur public. Ceux qui restent se divisent en deux catégories : les saints, et il y en a, qui considèrent que leur place est à l’hôpital. Ce sont des apôtres, que je salue. Et les autres qui trouvent dans les établissements publics une niche douillette, où l’on peut sans grand risque faire peu d’opérations. La France qui s’enorgueillit d’un État fort a laissé se développer le secteur libéral chirurgical comme aucun autre pays ne l’a fait au monde. Les dirigeants s’en aperçoivent tout juste pour maintenant crier au rapt. L’accès aux soins ne serait plus égalitaire ! La belle affaire : il ne l’a jamais été. Le secteur libéral assure aujourd’hui près de 70 % de la production opératoire dans tous les domaines de la chirurgie et sans rechigner devant la lourdeur des actes comme certains esprits envieux le colportent. Toutes les données du programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI) sont là pour le prouver. En 2005, sur 22 000 ablations radicales pour cancer de la prostate, près de 17 000 ont été réalisées dans les cliniques. Les chirurgiens s’y regroupent pour exercer et des cliniques de 300 ou 400 lits forment de beaux établissements de soins, à l’efficacité redoutable malgré leurs contraintes économiques

La séparation entre organismes et personnels médicaux et sociaux est une autre ineptie, alors qu’ils devraient œuvrer ensemble : l’exclu alcoolique qui vient aux urgences régulièrement pour des complications de sa cirrhose du foie, clochard sympathique que tout le monde connaît bien dans le service, sera admis quelques jours avant de retourner dans la rue. Parce qu’il n’y a aucun relais social, il reviendra quelque temps plus tard frapper à la porte du même l’hôpital, plutôt la nuit, pour y faire un nouveau séjour. Et rebelote !

Pendant le même temps, les généralistes sont de plus en plus désabusés. Ils ne trouvent ni remplaçant, ni successeur. Épuisés par le travail, ils sont dégoûtés par la dégradation de leur métier. Enfermés dans une médecine folle où le spécialiste du pied droit ne sera pas le même que celui du gauche, nous ne voyons pas les dangers de la parcellisation non régulée de notre action. On multiplie les sous spécialités, sans réfléchir si c’est à des médecins, des ingénieurs médicaux ou à leurs assistants qu’il faut s’adresser. On s’installe quand on veut, où l’on veut… Bref, chacun joue perso dans un mode de financement collectif !

Et demain ?

Les Français consacrent aujourd’hui 11 % du PIB aux dépenses de santé, en tirant « à guichet ouvert » sur les fonds de la Sécurité Sociale. Naïvement bercés par la chanson d’une pseudo-sécurité, et d’un égal accès aux soins, ils ne se rendent pas compte qu’ils mettent en péril un système qui, même imparfait, reste l’un des moins mauvais au monde. Pourquoi changer d’habitudes ? La Carte Vitale est créditée… Débitons, débitons.

Nous sommes tous responsables et collectivement coupables. Nul n’échappe à la critique. En campant sur des positions intenables, nous alourdissons la note. Ce n’est pas l’autre qui est responsable, c’est moi, et tous les autres avec. L’enfer c’est donc bien nous ! On s’est mis à « sonner le docteur » sous n’importe quel prétexte. Quelle personne bien éduquée oserait ainsi frapper à la porte de quiconque à toute heure du jour et de la nuit pour voir si ça va ?

Faut-il baisser les bras et changer de métier ? Doit-on se planter devant les portes des facultés de médecine en criant aux étudiants qui vont s’inscrire en première année : « Arrière toute ! Vous vous précipitez vers une impasse : choisissez autre chose » ? Non, bien au contraire. Car à notre époque incertaine et troublée, se dessinent les prémices d’une révolution de l’organisation des soins sans précédent : une délégation des actes médicaux, le partage de l’information médicale entre soignants et soignés, la révision des missions des établissements de soins et d’autres modes de rémunération des médecins. Notre pays, s’il le voulait, pourrait montrer le chemin d’une organisation sanitaire efficace et solidaire. Au centre géographique de l’Europe, la France pourrait attirer beaucoup plus de malades étrangers.

Nous avons des atouts : outre le bon niveau de la médecine française au quotidien, et des niches d’excellence, notamment en chirurgie, nous possédons un maillage unique au monde de structures de soins privé et publics. Ce réseau est une véritable chance, mais à la condition de donner à chaque établissement des missions bien ciblées plutôt que de les laisser faire tous la même chose par crainte des restructurations électoralement risquées. Nous avons aussi de grandes tares : notre dramatique faiblesse en recherche, en industrie médicale de pointe tant dans le domaine de la pharmacie que dans celui de l’industrie des matériels médicaux et de l’imagerie. Quand je prescris un scanner, j’enrichis General Electric, Siemens, Philips ou Toshiba ; et quand j’opère avec des instruments de haute technologie, la Sécurité sociale finance les retraites des employés de Johnson & Johnson ou de Tyco, deux compagnies américaines se partageant l’essentiel du marché.

J’ose parier, cependant, pour une inversion de la tendance et une prise de conscience générale : le gâchis médical et financier du système de soins français ne peut plus durer. Nous devons nous adapter à la nouvelle société, celle de la science et de l’information mondialisées. Notre pays peut à bien des égards jouer un rôle déterminant en matière de santé. Mais avant de réclamer notre dû, songeons à nos devoirs et à nos responsabilités.

Retrouvez dans La santé n’est pas un droit (Bourin éditeur) 10 propositions majeures pour une autre médecine plus solidaire et moderne.

 

3 avril 2007

Interview Guy Vallancien

"Interview tiré de la revue Prévention BTP"
http://www.oppbtp.fr

Guy Vallancien
Coauteur de deux rapports publics sur les hôpitaux, le professeur Guy Vallancien défend avec force le thème de l’évaluation de la qualité des soins. Et propose une nouvelle approche du risque.

“ En 2007, tous les Français ne sont pas exposés au risque de santé de façon égalitaire”

Interview

Prévention btp :
Dans votre approche sur les hôpitaux, vous insistez sur la notion de « gouvernance ». De quoi s’agit-il pour vous ?
Guy vallancien :
La gouvernance, c’est la façon d’organiser les hommes pour assurer une production optimisée en termes d’activité et de qualité. Il faut faire bien et il faut produire régulièrement. Pour y parvenir, il faut établir un organigramme : qui fait quoi ? À quel moment ? Qui est responsable de quoi par rapport à un autre ? Et quelle est la hiérarchie ? L’hôpital vivait sans se poser ce type de questions. Lorsque l’on demandait, par exemple, à un chef de clinique quelle était sa hiérarchie par rapport à la surveillante, par rapport à l’infirmière, par rapport au patron, il était incapable de se situer. Le monde médical vivait dans un système de pouvoir et d’adoubement reposant, entre autres, sur la qualité propre du chirurgien : quand on était un bon chirurgien, on avait le plus souvent un peu de pouvoir. Nous étions tous dans un système où l’on ne savait pas exactement à qui rendre compte et comment déléguer. Il fallait, donc, créer cet organigramme. Après avoir visité des dizaines d’hôpitaux et discuté avec tous les acteurs (directeurs, médecins, syndicats, corporations), c’est ce que nous avons proposé avec Denis Debrosse, directeur d’hôpital, et mon collègue Antoine Perrin, chirurgien à l’époque et, aujourd’hui, directeur de l’ARH (Agence régionale d’hospitalisation).

Quelle a été votre principale recommandation ?
Qu’il fallait que l’hôpital s’équipe d’un conseil ou d’un comité exécutif, exactement comme une entreprise. Cette instance réunirait des directeurs et leurs adjoints et des médecins élus ou nommés, de façon à créer un noyau dur qui prenne en main la vie de l’hôpital pour le dynamiser. Dans pas mal d’endroits c’était une nouveauté et, à l’heure actuelle, on peut dire que le principe d’un comité exécutif a marché. Comme toujours, quand les hommes s’entendent, les organigrammes et les structures, en général, vont bien ; quand les hommes se détestent, on peut mettre toutes les structures que l’on veut, ça ne marche pas. Le deuxième changement réalisé après notre intervention a été la création de « pôles ». Qu’est-ce qu’un pôle ? Pour aller vite, disons une organisation fonctionnelle : on réunit les acteurs médicaux et paramédicaux, c'est-à-dire tous ceux
qui s’occupent des malades, les cliniciens, mais éventuellement des chercheurs aussi, de façon à regrouper les forces vives autour d’un thème. Par exemple, un pôle de pathologie digestive, un pôle de pathologie urologique ou un pôle de pathologie neuropsychiatrique. Il ne s’agissait pas de supprimer les services en tant que tel, mais de décloisonner, d’empêcher que chacun soit là en train de taper du tambour en disant : « J’ai mes lits, mes infirmières, mes secrétaires, ma surveillante et je n’en bougerai pas ». Ce qui était une attitude délétère. Cette décision a souvent été prise comme une sanction, mais on sait bien que l’on ne peut pas faire vivre une grosse entité s’il n’y a pas des unités plus spécialisées. Nous avions l’idée de créer des pôles avec un responsable médical, aidé d’un cadre infirmier et d’un gestionnaire spécifiquement dévolu à cette entité. Il fallait déconcentrer et sortir d’une situation où la direction voit tout de haut : nous préconisions de déléguer en regroupant les hommes et les moyens financiers dans des unités plus petites qui seraient évaluées chaque année sur leur production et la qualité de cette production.

Une fois ce schéma général établi, quels ont été les premiers résultats en pratique ?
Si le schéma nous semblait bon, tout dépendait de la volonté des acteurs. Certains adversaires de cette nouvelle formulation se sont échinés à faire de la résistance et à vouloir que cela ne marche pas, en se crispant sur leur service, en ayant peur de perdre leur pouvoir, leur petit et minable pouvoir. Moralité, il y a des endroits où les pôles sont très efficaces, fonctionnent bien et d’autres où cela ne marche pas bien. Et puis, deuxième tentation que j’ai dénoncée, certains se sont groupés entre eux, alors que nous ne voulions pas une sorte de communautarisme mais une réunion d’acteurs venus d’horizons différents. J’avais même souhaité, et je l’ai dit au Ministre à l’époque, que l’on fasse appel à des consultants extérieurs, des personnalités civiles qui viennent nous aider à faire bouger l’hôpital car l’on ne se réforme jamais de l’intérieur. Cela n’a pas été très bien compris et je le regrette.

Justement, d’aucuns vous reprochent, à vous en particulier, d’avoir une vision globale de l’hôpital comme une entreprise.
La productivité, le décompte du nombre d’actes et l’évaluation de leurs qualités : toutes ces notions paraissaient presque vulgaires à l’hôpital. Cela a beaucoup choqué. Et on nous a renvoyé des slogans du genre : « Les maternités vont devenir des usines à bébés ». Toujours ces mots qui fâchent. En réalité, la France déteste son industrie. Comme si l’entreprise c’était sale. Il n’empêche que ce sont des millions de Français qui vivent de l’entreprise. L’hôpital ne serait pas une entreprise ? Mais, oui, c’est une entreprise ! C’est même la première et la plus belle. Dès que l’on parle d’entreprise à propos de l’hôpital, on nous dit : « Vous allez brader le service public ». Pas du tout ! Moi, je suis un homme du public, je défends un État fort, mais je pense qu’il faut que le système se dynamise en se réorganisant.

Vous avez publié un autre rapport concernant l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de la permanence des soins. Des thèmes assez nouveaux pour l’hôpital ?
Oui et ce sont les trois mots ensemble qui comptent. La qualité : est-ce que les hommes sont capables ? Qu’il s’agisse des chirurgiens, des anesthésistes et de tous les personnels qui les entourent. La sécurité : est-ce que les blocs opératoires sont aux normes, bien équipés ? Est-ce que les règles de la stérilisation sont respectées ? La permanence des soins : y a-t-il assez de personnes sur le pont pour assurer une réopération quand il y a des complications. Or, on s’aperçoit que dans les hôpitaux ayant un débit opératoire en dessous de 2 000 actes opératoires par an, environ, ces critères sont fortement déficitaires. Globalement, il y a toujours la sécurité. Tous les blocs que nous avons visités avec le professeur Giudicelli sont, à très peu d’exceptions près, aux normes. Les salles d’opérations sont belles, parfois même mieux que dans certains CHU, les matériels sont là, l’équipement est là aussi, la stérilisation est sûre. Sur la qualité des hommes, il y a des variations puisqu’il y a un certain nombre de chirurgiens à diplômes étrangers dont on ne connaît pas vraiment la formation et qui exercent dans ces hôpitaux. Certains sont très bons, d’autres, on le sait, n’ont pas les qualifications suffisantes. Mais comme il faut absolument avoir une liste de gardes et mettre des chirurgiens, on les accepte puisque les Français ne veulent pas prendre ces postes. Quant à la permanence des soins, on peut dire que dans ces hôpitaux il y a, en général, entre deux et trois chirurgiens. Il est facile de comprendre qu’il leur est impossible d’assurer, à la fois, l’orthopédie, c'est-à-dire « le dur », et le digestif, « le mou ». La chirurgie a complètement bougé. Du coup, on voit des situations assez étonnantes : des chirurgiens qui ne font rien parce que la clientèle les fuit. Ils sont, donc, des dangers publics. Nous avons, parfois, constaté des situations ubuesques. Cela ne peut pas durer. Il ne s’agit pas de fermer des hôpitaux : jamais nous ne l’avons dit. Il faut convertir des services dont la qualité n’est pas au rendez-vous et qui, en plus, coûtent cher puisque la qualité n’est pas là.

Vous avez, notamment, pointé du doigt certaines maternités objectivement dangereuses.
En effet, des maternités qui faisaient moins de 120 accouchements par an. Et, en plus, je pense en particulier à un lieu perdu de montagne, une maternité sans moyens de transfusion sanguine. On mesure facilement ce que cela peut représenter en France au 21e siècle : la moindre hémorragie de la délivrance peut tuer une femme et il n’y avait pas de moyens de transfusion ! Il a fallu se battre pour dire que c’était inadmissible.

L’une des idées centrales de vos rapports sur l’hôpital, c’est que la qualité des soins n’est pas liée à la proximité. Et, donc, que le risque pour sa santé peut être parfois plus important près de chez soi.
Bien entendu. Les Français sont de plus en plus éduqués, de plus en plus informés par internet, les radios, la télévision ; ils ont des moyens de transports performants ; on ouvre des autoroutes, des bretelles partout, des rocades, il y a des TER, des TGV, des lignes d’avions transversales, des hélicoptères : tout est fait pour accélérer les moyens d’informations et de transports. Et en même temps, on voudrait avoir le Samu sur son paillasson ! Les Français sont totalement schizophrènes parce qu’on ne leur dit pas la vérité. Et la vérité, c’est que la proximité n’égale pas la qualité : bien souvent, il faut faire 40 ou 50 km pour être mieux soigné. Les gens le savent, du reste, puisque dans ces hôpitaux ayant des petits services de chirurgie, ce qu’on appelle le « taux de fuite » (c’est-à-dire le nombre de malades qui ne s’y font pas traiter) est extraordinairement important. Donc, qui vient pour se faire traiter là ? En général, les personnes âgées et les pauvres. Les non-informés. Et quelques jeunes parce qu’il y a, bien sûr, les bricoles, par exemple des coupures nécessitant des points de suture. Mais, fondamentalement, il y a une inégalité dans l’accès aux soins quand on ne peut pas transporter les gens là où il y a les équipes compétentes. Donc, en 2007, tous les Français ne sont pas exposés au risque de santé de façon égalitaire.

Ces hôpitaux, que vous voulez non pas fermer mais reconvertir, ne doivent-ils pas parmi leur mission prioritaire développer des actions de prévention ?
C’est, en effet, l’un des objectifs importants que nous proposons. Il y a en gros 500 établissements publics que l’on peut convertir à des missions de proximité indispensables. D’abord, le diagnostic à l’accueil de l’urgence : on examine ce que vous avez et, en fonction des premiers résultats (grâce à des moyens de télétransmission vers des centres de recours) on vous renvoie chez vous avec une ordonnance adéquate, on vous traite sur place lorsque c’est bénin et, s’il y a un problème plus grave, on sait vers quel pôle de qualité vous diriger. Les hôpitaux qui ont fermé leur chirurgie et qui ont reçu, en échange, un service d’accueil d’urgence, ont vu leur clientèle augmenter. Pourquoi ? Parce que les gens avaient confiance. Ils se disaient : « Si je viens là, on ne va pas m’opérer sur place, je serai envoyé plus loin si c’est nécessaire ». Comme quoi, on a vécu sur du faux-semblant. Et que l’on ne vienne pas me parler d’emplois. En France, 130 restructurations ont eu lieu ces dix dernières années. Personne n’en a jamais parlé, cela n’a pas fait le « 20 heures » de TF1. Or, tous ces hôpitaux reconvertis ont gardé leurs personnels et, parfois même, il y a eu augmentation de l’effectif. Il faut plus de monde sur le pont quand on veut faire de la rééducation fonctionnelle ou s’occuper de gens âgés que pour faire de la chirurgie. Il faut, donc, qu’on ouvre ces hôpitaux aux pathologies du vieillissement. Les Français se disent solidaires, ils ne le sont pas du tout. La solidarité, c’est pour les autres ! Lorsque nous disons que l’on va pouvoir, avec une restructuration, ouvrir un service de gériatrie, on nous réplique : « Oui, mais vous comprenez, la gériatrie cela n’a pas la noblesse de la chirurgie ». C’est un véritable déni de civilisation. Voilà ce qui est scandaleux. Je pense qu’au contraire les gens âgés doivent être traités sur place au maximum et entourés. De l’autre côté, des petits hôpitaux restructurés sont des lieux idéaux pour accomplir auprès des jeunes, et avec des infirmières mieux payées, des missions de prévention. Toute une éducation aux grands principes de prévention sur laquelle la France est très en retard par rapport à ses voisins européens.

Propos recueillis par Pierre Boncenne

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