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La santé n'est pas un droit
3 avril 2007

Interview Guy Vallancien

"Interview tiré de la revue Prévention BTP"
http://www.oppbtp.fr

Guy Vallancien
Coauteur de deux rapports publics sur les hôpitaux, le professeur Guy Vallancien défend avec force le thème de l’évaluation de la qualité des soins. Et propose une nouvelle approche du risque.

“ En 2007, tous les Français ne sont pas exposés au risque de santé de façon égalitaire”

Interview

Prévention btp :
Dans votre approche sur les hôpitaux, vous insistez sur la notion de « gouvernance ». De quoi s’agit-il pour vous ?
Guy vallancien :
La gouvernance, c’est la façon d’organiser les hommes pour assurer une production optimisée en termes d’activité et de qualité. Il faut faire bien et il faut produire régulièrement. Pour y parvenir, il faut établir un organigramme : qui fait quoi ? À quel moment ? Qui est responsable de quoi par rapport à un autre ? Et quelle est la hiérarchie ? L’hôpital vivait sans se poser ce type de questions. Lorsque l’on demandait, par exemple, à un chef de clinique quelle était sa hiérarchie par rapport à la surveillante, par rapport à l’infirmière, par rapport au patron, il était incapable de se situer. Le monde médical vivait dans un système de pouvoir et d’adoubement reposant, entre autres, sur la qualité propre du chirurgien : quand on était un bon chirurgien, on avait le plus souvent un peu de pouvoir. Nous étions tous dans un système où l’on ne savait pas exactement à qui rendre compte et comment déléguer. Il fallait, donc, créer cet organigramme. Après avoir visité des dizaines d’hôpitaux et discuté avec tous les acteurs (directeurs, médecins, syndicats, corporations), c’est ce que nous avons proposé avec Denis Debrosse, directeur d’hôpital, et mon collègue Antoine Perrin, chirurgien à l’époque et, aujourd’hui, directeur de l’ARH (Agence régionale d’hospitalisation).

Quelle a été votre principale recommandation ?
Qu’il fallait que l’hôpital s’équipe d’un conseil ou d’un comité exécutif, exactement comme une entreprise. Cette instance réunirait des directeurs et leurs adjoints et des médecins élus ou nommés, de façon à créer un noyau dur qui prenne en main la vie de l’hôpital pour le dynamiser. Dans pas mal d’endroits c’était une nouveauté et, à l’heure actuelle, on peut dire que le principe d’un comité exécutif a marché. Comme toujours, quand les hommes s’entendent, les organigrammes et les structures, en général, vont bien ; quand les hommes se détestent, on peut mettre toutes les structures que l’on veut, ça ne marche pas. Le deuxième changement réalisé après notre intervention a été la création de « pôles ». Qu’est-ce qu’un pôle ? Pour aller vite, disons une organisation fonctionnelle : on réunit les acteurs médicaux et paramédicaux, c'est-à-dire tous ceux
qui s’occupent des malades, les cliniciens, mais éventuellement des chercheurs aussi, de façon à regrouper les forces vives autour d’un thème. Par exemple, un pôle de pathologie digestive, un pôle de pathologie urologique ou un pôle de pathologie neuropsychiatrique. Il ne s’agissait pas de supprimer les services en tant que tel, mais de décloisonner, d’empêcher que chacun soit là en train de taper du tambour en disant : « J’ai mes lits, mes infirmières, mes secrétaires, ma surveillante et je n’en bougerai pas ». Ce qui était une attitude délétère. Cette décision a souvent été prise comme une sanction, mais on sait bien que l’on ne peut pas faire vivre une grosse entité s’il n’y a pas des unités plus spécialisées. Nous avions l’idée de créer des pôles avec un responsable médical, aidé d’un cadre infirmier et d’un gestionnaire spécifiquement dévolu à cette entité. Il fallait déconcentrer et sortir d’une situation où la direction voit tout de haut : nous préconisions de déléguer en regroupant les hommes et les moyens financiers dans des unités plus petites qui seraient évaluées chaque année sur leur production et la qualité de cette production.

Une fois ce schéma général établi, quels ont été les premiers résultats en pratique ?
Si le schéma nous semblait bon, tout dépendait de la volonté des acteurs. Certains adversaires de cette nouvelle formulation se sont échinés à faire de la résistance et à vouloir que cela ne marche pas, en se crispant sur leur service, en ayant peur de perdre leur pouvoir, leur petit et minable pouvoir. Moralité, il y a des endroits où les pôles sont très efficaces, fonctionnent bien et d’autres où cela ne marche pas bien. Et puis, deuxième tentation que j’ai dénoncée, certains se sont groupés entre eux, alors que nous ne voulions pas une sorte de communautarisme mais une réunion d’acteurs venus d’horizons différents. J’avais même souhaité, et je l’ai dit au Ministre à l’époque, que l’on fasse appel à des consultants extérieurs, des personnalités civiles qui viennent nous aider à faire bouger l’hôpital car l’on ne se réforme jamais de l’intérieur. Cela n’a pas été très bien compris et je le regrette.

Justement, d’aucuns vous reprochent, à vous en particulier, d’avoir une vision globale de l’hôpital comme une entreprise.
La productivité, le décompte du nombre d’actes et l’évaluation de leurs qualités : toutes ces notions paraissaient presque vulgaires à l’hôpital. Cela a beaucoup choqué. Et on nous a renvoyé des slogans du genre : « Les maternités vont devenir des usines à bébés ». Toujours ces mots qui fâchent. En réalité, la France déteste son industrie. Comme si l’entreprise c’était sale. Il n’empêche que ce sont des millions de Français qui vivent de l’entreprise. L’hôpital ne serait pas une entreprise ? Mais, oui, c’est une entreprise ! C’est même la première et la plus belle. Dès que l’on parle d’entreprise à propos de l’hôpital, on nous dit : « Vous allez brader le service public ». Pas du tout ! Moi, je suis un homme du public, je défends un État fort, mais je pense qu’il faut que le système se dynamise en se réorganisant.

Vous avez publié un autre rapport concernant l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de la permanence des soins. Des thèmes assez nouveaux pour l’hôpital ?
Oui et ce sont les trois mots ensemble qui comptent. La qualité : est-ce que les hommes sont capables ? Qu’il s’agisse des chirurgiens, des anesthésistes et de tous les personnels qui les entourent. La sécurité : est-ce que les blocs opératoires sont aux normes, bien équipés ? Est-ce que les règles de la stérilisation sont respectées ? La permanence des soins : y a-t-il assez de personnes sur le pont pour assurer une réopération quand il y a des complications. Or, on s’aperçoit que dans les hôpitaux ayant un débit opératoire en dessous de 2 000 actes opératoires par an, environ, ces critères sont fortement déficitaires. Globalement, il y a toujours la sécurité. Tous les blocs que nous avons visités avec le professeur Giudicelli sont, à très peu d’exceptions près, aux normes. Les salles d’opérations sont belles, parfois même mieux que dans certains CHU, les matériels sont là, l’équipement est là aussi, la stérilisation est sûre. Sur la qualité des hommes, il y a des variations puisqu’il y a un certain nombre de chirurgiens à diplômes étrangers dont on ne connaît pas vraiment la formation et qui exercent dans ces hôpitaux. Certains sont très bons, d’autres, on le sait, n’ont pas les qualifications suffisantes. Mais comme il faut absolument avoir une liste de gardes et mettre des chirurgiens, on les accepte puisque les Français ne veulent pas prendre ces postes. Quant à la permanence des soins, on peut dire que dans ces hôpitaux il y a, en général, entre deux et trois chirurgiens. Il est facile de comprendre qu’il leur est impossible d’assurer, à la fois, l’orthopédie, c'est-à-dire « le dur », et le digestif, « le mou ». La chirurgie a complètement bougé. Du coup, on voit des situations assez étonnantes : des chirurgiens qui ne font rien parce que la clientèle les fuit. Ils sont, donc, des dangers publics. Nous avons, parfois, constaté des situations ubuesques. Cela ne peut pas durer. Il ne s’agit pas de fermer des hôpitaux : jamais nous ne l’avons dit. Il faut convertir des services dont la qualité n’est pas au rendez-vous et qui, en plus, coûtent cher puisque la qualité n’est pas là.

Vous avez, notamment, pointé du doigt certaines maternités objectivement dangereuses.
En effet, des maternités qui faisaient moins de 120 accouchements par an. Et, en plus, je pense en particulier à un lieu perdu de montagne, une maternité sans moyens de transfusion sanguine. On mesure facilement ce que cela peut représenter en France au 21e siècle : la moindre hémorragie de la délivrance peut tuer une femme et il n’y avait pas de moyens de transfusion ! Il a fallu se battre pour dire que c’était inadmissible.

L’une des idées centrales de vos rapports sur l’hôpital, c’est que la qualité des soins n’est pas liée à la proximité. Et, donc, que le risque pour sa santé peut être parfois plus important près de chez soi.
Bien entendu. Les Français sont de plus en plus éduqués, de plus en plus informés par internet, les radios, la télévision ; ils ont des moyens de transports performants ; on ouvre des autoroutes, des bretelles partout, des rocades, il y a des TER, des TGV, des lignes d’avions transversales, des hélicoptères : tout est fait pour accélérer les moyens d’informations et de transports. Et en même temps, on voudrait avoir le Samu sur son paillasson ! Les Français sont totalement schizophrènes parce qu’on ne leur dit pas la vérité. Et la vérité, c’est que la proximité n’égale pas la qualité : bien souvent, il faut faire 40 ou 50 km pour être mieux soigné. Les gens le savent, du reste, puisque dans ces hôpitaux ayant des petits services de chirurgie, ce qu’on appelle le « taux de fuite » (c’est-à-dire le nombre de malades qui ne s’y font pas traiter) est extraordinairement important. Donc, qui vient pour se faire traiter là ? En général, les personnes âgées et les pauvres. Les non-informés. Et quelques jeunes parce qu’il y a, bien sûr, les bricoles, par exemple des coupures nécessitant des points de suture. Mais, fondamentalement, il y a une inégalité dans l’accès aux soins quand on ne peut pas transporter les gens là où il y a les équipes compétentes. Donc, en 2007, tous les Français ne sont pas exposés au risque de santé de façon égalitaire.

Ces hôpitaux, que vous voulez non pas fermer mais reconvertir, ne doivent-ils pas parmi leur mission prioritaire développer des actions de prévention ?
C’est, en effet, l’un des objectifs importants que nous proposons. Il y a en gros 500 établissements publics que l’on peut convertir à des missions de proximité indispensables. D’abord, le diagnostic à l’accueil de l’urgence : on examine ce que vous avez et, en fonction des premiers résultats (grâce à des moyens de télétransmission vers des centres de recours) on vous renvoie chez vous avec une ordonnance adéquate, on vous traite sur place lorsque c’est bénin et, s’il y a un problème plus grave, on sait vers quel pôle de qualité vous diriger. Les hôpitaux qui ont fermé leur chirurgie et qui ont reçu, en échange, un service d’accueil d’urgence, ont vu leur clientèle augmenter. Pourquoi ? Parce que les gens avaient confiance. Ils se disaient : « Si je viens là, on ne va pas m’opérer sur place, je serai envoyé plus loin si c’est nécessaire ». Comme quoi, on a vécu sur du faux-semblant. Et que l’on ne vienne pas me parler d’emplois. En France, 130 restructurations ont eu lieu ces dix dernières années. Personne n’en a jamais parlé, cela n’a pas fait le « 20 heures » de TF1. Or, tous ces hôpitaux reconvertis ont gardé leurs personnels et, parfois même, il y a eu augmentation de l’effectif. Il faut plus de monde sur le pont quand on veut faire de la rééducation fonctionnelle ou s’occuper de gens âgés que pour faire de la chirurgie. Il faut, donc, qu’on ouvre ces hôpitaux aux pathologies du vieillissement. Les Français se disent solidaires, ils ne le sont pas du tout. La solidarité, c’est pour les autres ! Lorsque nous disons que l’on va pouvoir, avec une restructuration, ouvrir un service de gériatrie, on nous réplique : « Oui, mais vous comprenez, la gériatrie cela n’a pas la noblesse de la chirurgie ». C’est un véritable déni de civilisation. Voilà ce qui est scandaleux. Je pense qu’au contraire les gens âgés doivent être traités sur place au maximum et entourés. De l’autre côté, des petits hôpitaux restructurés sont des lieux idéaux pour accomplir auprès des jeunes, et avec des infirmières mieux payées, des missions de prévention. Toute une éducation aux grands principes de prévention sur laquelle la France est très en retard par rapport à ses voisins européens.

Propos recueillis par Pierre Boncenne

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